"N'envoyez pas de fleurs" de Martín Solares
Titre original : No manden flores
Traduction de Christilla Vasserot
(Christian Bourgeois éditeur, 2017)
Martín Solares est né à Tampico en 1970, dans le golfe du Mexique. Il écrit des romans noirs, et il est aussi critique littéraire et éditeur. En 2003, il a dirigé une anthologie de nouvelles et de chroniques traitant des crimes politiques au Mexique : Nuevas líneas de investigación : 21 relatos contra la impunidad.
Ce roman a été publié en 2015 et il est basé sur un cas criminel : une riche héritière a disparu et son père fait appel à un ex-policier, Carlos Treviño, pour la retrouver. Treviño a du renoncer à ses fonction et se cacher de ses collègues qui n'apprécient pas son honnêteté. Il a pour ennemi le commandant Margarito, chef de police corrompu et criminel. Le roman est construit sur cet antagonisme entre les deux personnages : dans la première partie, nous suivons Treviño; dans la seconde, Margarito.
N'envoyez pas de fleurs nous plonge dans la violence du golf du Mexique, à la frontière nord, où des groupes criminels – protégés par la corruption des politiques, des policiers, des militaires, des entrepreneurs – se disputent le contrôle de la ville de La Eternidad et y agissent en toute impunité. Dans un entretien, l'auteur explique : “ J'essaye que le lecteur ait l'impression que la majeure partie de l'histoire se déroule le temps d'une longue nuit sans étoile, comme celle que l'on vit depuis des années à Tamaulipas.” Dans ses remerciements qui concluent le livre, il écrit : “...ce roman est pour ceux qui m'ont raconté quelques histoires, et pour ceux qui n'ont pas voulu les raconter y qui m'ont offert un silence plus éloquent”.
Il faut noter, avant d'insister sur le thème criminel, que le roman compte des chapitres très poétiques où sont narrés des rêves ou des visions magiques. Mais, le thème principal est la violence en vigueur au nord du pays, berceau d'un des plus anciens groupes criminel du Mexique et encore en activité : le Cartel du Golfe. Il a été fondé dans les années 1930.
Durant les années 2010-2011, ce cartel a affronté le Cartel des Zetas qui fut d'abord son bras armé avant de prendre son indépendance et qui est composé de soldats issus des forces d'élite mexicaines ou d'ex-kaibiles, forces d'élites guatémaltèques connues pour leur violations des droits humains. Le roman reflète l'histoire des groupes criminels. Par exemple, un personnage appelé Cornelio parle des fondateurs de ces groupes : “Il faisait référence aux vieux délinquants, les Anciens, ceux qui se font appeler les Cartel du Port, ceux par qui tout avait commencé. Cornelio et Treviño n'ignoraient pas que, durant ces trente dernières années, le trafic d'alcool, d'armes, d'appareils éléctriques, de médicaments et de drogue était sous le contrôle d'un seul et même groupe. Se sentant menacés par leurs rivaux en provenance d'autres Etats, ces trafiquants avaient dû engager un nombre croissant de gardes du corps, à la fin des années quatre-vingt-dix; au début, c'étaient des agents armés, recrutés au sein de la police fédérale ou nationale, mais les affrontements devenant de plus en plus violents, la surveillance était devenues un travail à temps complet, alors ils s'étaient mis à soudoyer les membres des hautes sphères de l'armée pour les convaincre de déserter et de travailler pour eux. Leur entente avait duré une dizaine d'années, jusqu'à ce que les militaires, décidant qu'il était temps de prendre la place des chefs, fondent le groupe des Nouveaux.”
Le pouvoir grandissant de ces cartels est abordé dans le roman : “Ils ont donnée de l'argent à l'église, ils ont construit des routes et des hôpitaux, ils ont fait alliance avec la police... Avant, le gouvernement en arrêtait un de temps en temps pour se faire bien voir des Américains, mais maintenant que le milieu et les politiques travaillent main dans la main, c'est fini tout ça. Et qui va oser en parler à la presse?
Le rédacteur en chef d'un des journaux de La Eternidad a été placé là par les criminels eux-mêmes. Il arrive quand le numéro est bouclé, il s'assied, il relit attentivement tout ce qui concerne la vie nationale et locale et il oblige les chefs de service à éliminer les articles qui disent du mal de la bande d'assassins pour laquelle travaille. Il lui arrive même de faire disparaître certains mots. Ou alors il fait remplacer “gang criminel” par “groupe rebelle”; “trafic de stupéfiants” par “commerce”; “enlèvement” par “arrestation”; “lésions” par “marques”; “assassinat” par “disparition”. Comme si les mots leur appartenaient, à ces salauds.”
L'impact de la violence sur les habitants de la région et son mode de vie est reflété dans le roman. Par exemple, un viel homme avec qui parle avec Treviño pour trouver un témoignage lui dit : “Je me demande bien pourquoi je souris... Tu m'excuseras, mais on n'a pas encore inventé d'expression du visage pour l'horreur qu'on est en train de vivre. Les séquestrations, les exécutions, les décapitations, les fusillades, les enlèvements minute... Tout ça, c'est nouveau pour nous, pour tous ceux qui aimeraient bien partir ailleurs mais qui peuvent pas, ceux qui ont vu la mort de près, ceux qui s'obstinent à rester, ceux qui travaillent ici, ceux qui vivent ici.”
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Sur la guerre des cartels au Mexique