"La multitude errante" de Laura Restrepo
Titre original : La multitud errante
Traduction de Françoise Prébois
(Calmann-Lévy, 2006)
Laura Restrepo, en 1983, a été nommée membre de la commission de négociation de paix entre le gouvernement colombien et le mouvement armée M-19. Menacée de mort pour avoir rendu compte de cette expérience dans un livre, elle a été obligée de s'exiler et a vécu durant cinq ans entre Mexico et Madrid tout en maintenant des contacts avec l'aile politique de la guérilla pour que reprennent les négociations. En 1989, le M-19 a abandonné les armes et et devenu un parti politique légal.
Comme journaliste, Laura Restrepo a été amenée à visiter des camps de réfugiés. Dans un entretien, elle raconte comment, dans un de ces camps, elle a rencontré un orphelin qui avait un pied nanti de six doigts au lieu de cinq. Dans le camp, tout le monde l'appelait Vingt-et-un. Un prêtre du camp fit un sermon pour rappeler qu'il ne fallait pas se moquer des défauts physique des gens alors on se mit à appeler l'enfant Sept-fois-Trois. Les familles se relayaient pour accueillir l'enfant, non seulement pour le protéger mais aussi par qu'il était considéré comme un porte-bonheur.
Dans La multitude errante, Laura Restrepo transpose des éléments de cette rencontre et construit un personnage qui évoque l'univers des contes : Sept-fois-Trois est le héros d'une quête et ses capacités tiennent du prodige... mais ce roman est surtout une histoire de migration et d'amour : Sept-fois-Trois est un homme mystérieux qui arrive dans un refuge tenu par des sœurs qui abritent ceux qui ont fui la guerre ; il recherche, depuis des années, une femme qui a disparu.
Le contexte de ce récit est la période de guerre civile entre libéraux et conservateurs que l'on a dénommé La Violencia. Ce conflit qui débuta en 1948 avec l'assassinat du candidat libéral à la présidence, Jorge Eliecer Gaitán, dura plus de dix ans, fit entre 200 000 et 300 000 morts et provoqua la migration forcée de plus de deux millions personnes, soit le cinquième de la population colombienne.
"Comment puis-je lui dire qu'il ne la trouvera jamais alors qu'il a perdu sa vie à la chercher?
Il m'a dit que l'air le blesse, que son sang brûle ses veines et que sa couche est un lit d'épingles, parce qu'au détour d'un chemin il a perdu la femme qu'il aime et que nulle carte ne lui indique où la retrouver. Il la cherche sur toute l'écorce terrestre sans s'accorder une minute de repos ou de grâce, et sans se rendre compte que ce n'est pas au-dehors qu'elle se trouve mais qu'il la porte en lui, mêlée à sa fièvre, présente dans les objets qu'il touche, se reflétant dans le regard de chaque inconnu qui l'aborde."
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| Réfugiés français sur la route de l'exode, 19 juin 1940. (Archives fédérales allemandes) |
