"Les armées" d'Evelio Rosero
Titre original : Los Ejércitos
Traduction de François Gaudry
( Éditions Métailié, 2008)
Né en 1958, Evelio Rosero s'est fait connaître avec son roman Les soldats (Los soldados) qui lui vaut, en 2003, le prix national de littérature dans son pays, la Colombie. Dès la fin de ses études, il commence à publier des récits courts dans la presse qui sont salués en Colombie mais aussi au Mexique ou en Espagne. Son œuvre comprend des poèmes, des textes pour le théâtre... c'est aussi un auteur de littérature de jeunesse. Trois de ses romans peuvent se lire en français : Les armées, Le carnaval des innocents et Juliana les regarde.
Les armées, paru en espagnol en 2006, est un roman qui nous plonge dans le climat de violence qui frappe le pays depuis des décennies en montrant l'irruption de la guerre dans le quotidien d'une bourgade. Entre 1964 et 2016, le conflit armé colombien qui oppose mouvements révolutionnaires, groupes paramilitaires et forces gouvernementales a provoqué 260 000 morts, 45 000 disparitions et l'exode de 6 millions de personnes. Ce roman donne toute la mesure de l'atrocité absurde de ce conflit à travers les péripéties et le regard de son personnage principal : un vieil instituteur qui perd peu à peu ses repères, un vieil homme qui voit peu à peu la vie et la mort se confondre.
"Un soldat a lu une liste de noms : « Ceux-là peuvent partir », a-t-il dit, j'étais stupéfait de ne pas avoir entendu mon nom. Tant pis, je me joins à ceux qui s'en vont. Une sorte de colère froide, d'indifférence, m'aide à passer entre les fusils sans que personne ne fasse attention à moi. On ne me regarde même pas. Le vieux Celmiro, plus âgé que moi, un ami, suit mon exemple, lui non plus n'a pas été mentionné, il en est mortifié : « Qu'est-ce qui se passe ? Me dit-il. Qu'est-ce qu'on a bien pu faire, putain de merde ? » Il se plaint qu'aucun de ses enfants ne soit venu le chercher, ne se soucie de son sort. Nous entendons maugréer Rodrigo Pinto, jeune, inquiet, il proteste timidement en triturant son chapeau blanc, il vit dans la montagne, relativement loin du village, mais il est arrêté et le restera qui sait jusqu'à quand, on ne lui permet pas de rentrer chez lui, sa maison est en face, à mi-flanc de la montagne, il nous dit que sa femme est enceinte et ses quatre enfants sont seuls à l'attendre. Il est descendu au village pour acheter de l'huile et de la cassonade, mais il n'ose pas suivre mon exemple et celui de Celmiro, il n'est pas assez vieux pour franchir le cordon de soldats sans se faire remarquer."