"Le rêve du Celte" de Mario Vargas Llosa
Titre original : El sueño del Celta
Traduction de Albert Bensoussan et Anne-Marie Casès
(Éditions Gallimard, 2011)
On trouve parmi les romans du grand écrivain péruvien des figures réelles ou inventées d'idéalistes dont le destin est marqué par un engagement total. Ainsi, dans Histoire de Mayta (Historia de Mayta) l'écrivain livre une enquête qui recompose un personnage de révolutionnaire intransigeant et défait. En 2003, il publie Le Paradis un peu plus loin (El paraíso en la otra esquina), une double biographie de l'utopie : celle politique de Flora Tristan et celle artistique de son petit-fils Paul Gauguin. Dans ce roman-ci, paru en 2010, c'est la vie d'une des grandes figures anti-impérialistes, l'Irlandais Roger Casement, qu'il raconte.
Roger Casement (1864-1916) est en effet connu pour son engagement contre les crimes commis au Congo quand ce territoire était propriété personnelle de Léopold II de Belgique. En 1903, il remet au gouvernement anglais un rapport qui dénonce les atrocités systématiques commises envers la population de ce territoire. Ce rapport accablant obligera Léopold II a accepter la nomination d'une Commission d'Enquête qui confirmera le rapport de Roger Casement et entraînera le transfert d'urgence de la colonie congolaise à l'Etat belge.
En 1910, c'est à l'impérialisme économique que Roger Casement s'attaque, celui de la Peruvian Amazon Company dont le conseil administration est en Angleterre et qui exploite de manière inhumaine les Indiens du Putumayo pour extraire du caoutchouc.
Mario Vargas Llosa raconte dans le détail les aventures, les difficultés et le courage de cette personnalité hors du commun cherchant à reconstituer le cheminement intime de ses engagements, notamment celui pour la cause irlandaise qui lui valu d'être pendu. Le Roger Casement de Vargas Llosa est un personnage de chair et d'os, complexe, qui attend la sentence dans une cellule de la prison de Pentonville, qui se souvient et nous permet de plonger dans une époque marquée par de virulentes protestations contre l'ordre colonial.
"En pénétrant dans l'étroit parloir des visiteurs, il fut déçu. Celui qui l'y attendait n'était pas son avocat, maître George Gavan Duffy, mais l'un de ses assistants, un jeune homme roux et dégingandé, aux pommettes saillantes, mis comme un gandin, qu'il avait vu pendant les quatre jours du procès s'affairer à un va-et-vient de papiers pour les avocats de la défense. Pourquoi maître Gavan Duffy, au lieu de venir en personne, envoyait-il un de ses stagiaires ?
Le jeune homme lui jeta un regard froid. Il y avait dans ses pupilles de la colère et du dégoût. Quelle mouche le piquait, cet imbécile ? "Il me regarde comme si j'étais une bête nuisible", pensa Roger.
- Du nouveau ?
Le jeune homme fit un signe de tête négatif. Il prit une grande inspiration avant de parler :
- Pour la demande de remise de peine, c'est trop tôt, murmura-t-il, sèchement, avec une grimace qui le désarticulait encore plus. Il faut attendre la réunion du conseil des ministres.
Roger était gêné par la présence du sheriff et de l'autre gardien dans le minuscule parloir. Malgré leur silence et leur immobilité, il savait qu'ils ne perdaient pas un mot de tout ce qu'eux étaient en train de dire. Cette pensée l'oppressait et rendait sa respiration difficile.
- Mais, compte tenu des derniers événements, ajouta le jeune homme roux, en clignant des yeux pour la première fois et en ouvrant et fermant exagérément la bouche, tout est devenu maintenant plus difficile.
- Les nouvelles du dehors n'arrivent pas à Pentonville Prison. Que s'est-il produit ?"
